AGENCE REUTERS
juillet 2002

Controverse autour d'un amendement sur les gens du voyage

Par Paule Bonjean et Julien Prétot

PARIS (Reuters)
- Mesure inapplicable pour les uns, manifestation d'une politique de discrimination pour d'autres. L'amendement adopté mercredi par l'Assemblée nationale renforçant les sanctions sur le stationnement des gens du voyage soulève une vague de protestations au sein des associations de défense des droits de l'homme.

"Cette mesure est irresponsable, absurde et scandaleuse", dénonce Malik Salemkour, membre du bureau national de la Ligue des droits de l'homme (LDH) chargé des discriminations et des gens du voyage.

"Imposer aux gens du voyage de s'arrêter ailleurs, cela veut dire qu'on les assigne à résidence. Et où ? C'est une sédentarisation forcée, on est dans le délire."

"C'est un amendement décoratif pour les uns et humiliant pour les autres", estime Yvon Massardier, fondateur de l'Association régionale pour l'information et la promotion des tsiganes et des gens du voyage.

L'amendement au projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure présenté par Nicolas Sarkozy indique qu'"outre des sanctions financières, il pourra être prévu, à titre complémentaire, la confiscation des véhicules ayant servi à commettre l'infraction."

"IMPOSSIBLE D'APPLIQUER CETTE LOI"

"L'accueil des gens du voyage est à l'origine d'un certain nombre de difficultés qui pèsent (...) sur certaines communes", précise l'exposé sommaire de l'amendement.

Pierre Hérisson, vice-président de l'AMF (Association des maires de France) chargé des gens du voyage et sénateur UMP de Haute-Savoie, pense que l'amendement permettra "une meilleure application des lois de la République".

Mais pour Yvon Massardier, "il sera impossible d'appliquer cette loi. Cet amendement me fait sourire car quel maire voudra voir confisquer le véhicule d'un gitan, alors que celui-ci ne pourra pas repartir?".

La Loi Besson du 5 juillet 2000, relative à l'habitat et à l'accueil des gens du voyage, oblige les communes de plus de 5.000 habitants à proposer d'ici 2004 des aires de stationnement aménagées, avec l'eau courante, des sanitaires et l'électricité.

"La ville de Saint-Maur, par exemple, préfère payer des amendes plutôt que d'appliquer la loi Besson", regrette Jean Joël Lemarchand, premier adjoint au maire de Choisy-le-Roi.

Sur les 300.000 à 350.000 gens du voyages, 100.000 sont des Manouches, presque tous de nationalité française.

"L'étranger n'est pas un ennemi, surtout quand il est français", s'insurge Jean-Joël Lemarchand.

Bernard Tronchet, directeur du Syndicat intercommunal de gestion des aires de stationnement des villes de Sarcelles, Bouffémont, Domont, et Saint-Brice, dans le Val-d'Oise, dénonce l'insuffisance d'aide des pouvoirs publics.

"Le problème, c'est que les communes ne sont pas assez aidées en cas de dégâts sur les aires de stationnement."

Les communes sont subventionnées à 70% par l'Etat pour la construction d'aires d'accueil et pour leur réhabilitation mais ne le sont pas en cas de dégâts importants.

SEDENTARISATION FORCEE?

Bernard Tronchet, qui n'était pas au courant de l'amendement lorsqu'il a été contacté par Reuters, s'indigne également de la manière dont le sujet est traité.

"Cela se fait sans les gens qui travaillent sur le terrain", souligne-t-il.

A la mairie de Paris, Khadija Bourcart, chargée de l'intégration et des étrangers non communautaires, dénonce la logique de cet amendement.

"Pas de lieu, plus de véhicule, la logique, c'est de les mettre en prison", s'indigne-t-elle.

"Cette loi sur la sécurité est une loi de stigmatisation de certaines catégories de la population française, en général les gens fragiles, les gens du voyage, les prostitués, les jeunes de banlieue, les SDF, qui vont être l'objet d'une discrimination", s'emporte Noël Mamère, député maire Vert de Bègles.

"On ne va pas se mettre à construire des miradors!", renchérit Jean-Joël Lemarchand.

Noël Mamère y voit même "des traces d'apartheid".

"Ce projet de loi est une boîte de Pandore. Tous les coups sécuritaires s'y trouvent. Depuis de nombreuses années, il y a une pression terrible des élus, des maires pour éviter le stationnement des gens du voyage", note le président du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples),
Mouloud Aounit.

Jean-Joël Lemarchand centre pour sa part le débat autour de la notion de solidarité: "C'est toujours les (communes les) plus riches qui renvoient la gestion de la solidarité aux plus pauvres".

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