HOLOCAUSTE           SAMUDARIPEN



Une minorité est plus opprimée que toute autre dans presque tous les pays occidentaux : les Roms ou Tsiganes. C’est aussi la minorité la plus méprisée : les groupes majoritaires qui l’entourent ne lui manifestent presque jamais de sympathie. On ne peut même pas dire que cette minorité a moins souffert que les Juifs pendant l’innommable période nazie en Allemagne : elle a enduré en ce temps-là les mêmes souffrances. Il y a eu un holocauste tsigane exactement de même nature que l’holocauste juif : une tentative réfléchie d’exterminer ces deux races par leur élimination massive dans les camps de la mort.

Si l’on agit et réfléchit beaucoup aujourd’hui pour rappeler l’horreur de l’holocauste juif, le fait que l’holocauste tsigane ne soit pas évoqué, qu’il soit oublié et rarement mentionné, est révélateur de l’indifférence générale envers la manière dont sont traités les Tsiganes. Il est normal que les Juifs aient reçu des dédommagements.Mais aucune compensation n’a été donnée aux Tsiganes.

Cette attitude envers eux n’a rien de nouveau. Ils vivent en Europe depuis plusieurs siècles, et dans le Nouveau Monde depuis longtemps aussi. Tout au long de leur vie en Occident, ils ont été victimes de persécutions constantes et odieuses. Jusqu’à la fin du xixe siècle, ils vivaient littéralement en esclavage dans certaines régions d’Europe de l’Est. Ils y sont encore victimes de discriminations grossières, de violences et de haine. Ce ne sont pas des étrangers : ils sont membres d’une minorité établie depuis très longtemps et qui, dans le domaine de la musique et de la danse, a contribué au patrimoine culturel de plus d’un pays européen.

Tant que les nations d’Europe et d’Amérique n’affirmeront pas leur volonté de mettre fin aux mauvais traitements que subissent les Tsiganes à l’intérieur de leurs frontières, elles ne pourront pas prétendre sincèrement être attentives aux droits de tous leurs habitants. Mais si elles déclarent que telle est leur intention et qu’elles s’appliquent à la rendre effective, elles montreront que le respect des droits de l’homme est véritablement un principe fondamental de leur politique.

Je propose que l’UNESCO soutienne le projet d’un accord international spécialement destiné à garantir le respect des droits de l’homme pour les Tsiganes : cet accord aurait le statut d’un traité, à valeur de loi internationale, et ses signataires s’engageraient à le mettre en œuvre. Il prendrait en compte tous les aspects de la situation des Tsiganes.

Les principaux aspects de cette situation sont les suivants : Dans certains pays, les Tsiganes restent nomades ; dans d’autres, ils sont sédentarisés. Partout où il y a encore des Tsiganes nomades, il devrait y avoir des lois qui leur garantissent, à eux comme aux autres gens du voyage, des emplacements aménagés, où ils puissent s’arrêter et laisser leurs caravanes aussi longtemps qu’ils le désirent.

Récemment, dans certains pays d’Europe de l’Est, on a retiré la nationalité aux Tsiganes. Ainsi, non seulement ils ne bénéficient plus de la protection de l’État, mais ils n’ont plus le droit de vote. Il serait normal que, partout où ils vivent, sédentaires ou nomades, les Tsiganes aient droit à la nationalité. Ils devraient pouvoir s’inscrire sur les listes électorales ; s’ils sont nomades, ils devraient pouvoir choisir leur circonscription. Parfois, des Tsiganes se déplacent régulièrement de part et d’autre de certaines frontières, par exemple entre la Grèce et l’ex-Yougoslavie. Dans ce cas, on devrait soit leur donner la double nationalité en considérant les deux pays dans lesquels ils ont l’habitude de vivre une bonne partie de l’année, soit leur garantir au moins le droit de se rendre librement dans le pays dont ils n’ont pas la nationalité.

Les Tsiganes sont très préoccupés par la scolarisation de leurs enfants. Qu’ils soient nomades ou sédentaires, la loi devrait prévoir pour eux de vraies possibilités pour que leurs enfants aillent à l’école.

Il faut dans chaque pays des lois rigoureuses pour protéger les Tsiganes contre la violence et les harcèlements : on devrait imposer et appliquer de lourdes peines pour toute infraction à ces lois.

Les Tsiganes sont souvent exposés à des discriminations grossières. On leur refuse par exemple l’entrée dans des lieux de loisirs et surtout la possibilité d’un emploi. Tous les pays devraient adopter des lois qui empêchent ces discriminations et prévoir que les victimes puissent porter plainte et obtenir réparation quand la discrimination est prouvée.

Si un pays signe un accord garantissant ces droits aux Tsiganes qui vivent à l’intérieur de ses frontières, il manifestera sa volonté de faire respecter les droits de l’homme pour tous ceux qui vivent dans ce pays, même ceux qui sont méprisés et sans cesse maltraités. Si cet accord est totalement appliqué, il sera par là même impossible que cet État n’assure pas de la même façon la protection de ses autres minorités. Le principe d’une considération égale et du respect pour tous fera désormais partie intégrante de ce qui constitue cet État. Faute d’un tel accord, des mesures seront sans doute prises pour empêcher la discrimination et la violence envers d’autres minorités, plus récemment arrivées, mais les Tsiganes continueront à être traités aussi brutalement qu’ils l’ont toujours été.
« Si le respect des droits de l’homme demeure partiel, il est, pour cette raison, précaire pour tous. »


par Michael DUMMET
Philosophe


« Samudaripen, en langue romani, veut dire génocide. Le mot est construit sur le verbe mudare : «il tue», d'où provient le substantif abstrait de tuer : mudaripen, le meurtre. Mudarel est la même racine indo-européenne que meurtre, en français, murder, en anglais. Le sufixe ipen indique toujours, en romani, l'action pour la construction des substantifs. Le préfixe sa, qui est un pronom indéfini, signifie : tout.
Samudaripen, en d'autres termes, signifie : tout tuer.



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