Gellért Rajcsányi - Budapest - 13.7.2006
Traduction : Delphine Salerno . Lívia Járóka, en action (LJ) Budapest, visite officielle de Vladimir Poutine en mars 2006. Les journalistes, qui n’ont d’yeux que pour le Président russe, sont loin de se douter qu’à l’écart de cette agitation médiatique, dans un quartier de la ville épargné par ce remue-ménage, se tiennent des débats de la plus haute importance. C’est pendant ces travaux parlementaires que je rencontre Lívia Járóka. Alors que ses collègues l’attendent dans une pièce adjacente, elle commence à m’expliquer la mission qu’elle s’est fixée : mettre fin une fois pour toutes au racisme et à la discrimination que subissent depuis toujours les Roms et permettre à ce peuple apatride de trouver enfin sa place en Europe.
Entre rejet et souffrance
La communauté Rom est certainement l’une des minorités qui a le plus souffert tout au long de son histoire européenne. Ses membres auraient quitté l’Inde un millier d’années auparavant pour venir s’installer sur le continent. En 1471, une loi visant à expulser les gens du voyage du sol suisse est votée, marquant le début des persécutions à l’encontre de cette communauté.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les nazis vont exterminer entre 200 000 et 800 000 Tsiganes. Le terme « Porajmos », qui signifie littéralement « dévorer », a même été utilisé pour désigner ce génocide méthodiquement programmé. En 1999, au Kosovo, les Roms sont à nouveau victimes de la barbarie humaine lors de la politique de nettoyage ethnique mené par Milosevic. Aujourd’hui encore, le Centre européen pour les droits des Roms (ERRC) déplore un racisme encore trop largement répandu à leur égard. L’objectif de ces activistes convaincus, dont fait partie Lívia Járóka ? Trouver, en partenariat avec les institutions européennes, des réponses à un problème propre à l’UE.
Depuis qu’elle s’est engagée dans ce combat, Járóka est parvenu à attirer l’attention des Européens en général et des Hongrois en particulier, sur la situation pour le moins désastreuse de la minorité Rom. Cette militante, si déterminée derrière son calme apparent, aime à évoquer ses débuts de carrière. « Alors que je travaillais comme anthropologue spécialisée dans la culture Rom après avoir étudié en Grande-Bretagne, j’étais déjà régulièrement consultée par les hommes politiques ayant à traiter de questions relatives aux droits de l’homme. Jamais je n’ai hésité à donner franchement son opinion, au risque d’émettre certaines critiques. »
C’est au cours de ses études à l’étranger que Lívia Járóka commence à s’impliquer au sein d’ONG Roms. En 2004, elle est appelée à siéger au Parlement européen en tant que députée et représentante de l’opposition hongroise, le parti conservateur du Fidesz, devenant ainsi la première eurodéputée Rom. Une particularité qui ne l’a pas empêchée de trouver rapidement ses marques, entrant du même coup au Parti populaire européen (PPE) puis se voyant élue vice-présidente de l’intergroupe ‘Antiracisme et diversité’.
Un travail acharné
Járóka ne semble pas surprise lorsque je lui demande s’il n’a pas été difficile pour une jeune femme originaire d’Europe de l’Est de s’intégrer dans un univers ordinairement réservé aux hommes d’âge mûr. A-t-elle été prise au sérieux dès ses débuts ? « Pour y arriver, j’ai dû m’accrocher deux fois plus », m’avoue-t-elle. Avant d’ajouter : « avec mes collègues, nous avons travaillé de façon rigoureuse et extrêmement professionnelle dans l’optique d’intéresser les hommes politiques aux terribles conditions de vie des Roms en Europe. Contrairement aux autres minorités, les Tsiganes ne disposent d’aucun réseau d’organismes publics pour leur venir en aide. »
Mon interlocutrice parait convaincue que son rôle est de « faire valoir auprès du Parlement la nécessité de mettre en place des associations de soutien et j’entends bien me battre pour dissiper les préjugés que nourrissent depuis toujours bon nombre d’Européens à l’égard de la communauté Rom. » Car selon elle, « est plus que temps pour nos dirigeants de prendre conscience de la terrible situation des gens du voyage ».
Je m’étonne de constater que cette jeune trentenaire soit parvenue à préserver intact son idéalisme et son enthousiasme en se frottant au processus obscure d’élaboration des politiques communautaires. « Il est vrai que, ne s’agissant plus de militantisme, j’ai dû apprendre à faire des compromis », explique t-elle.
« Toutefois, il ne faut en aucun cas perdre de vue ses objectifs réels, » affirme mon interlocutrice. « Il est toujours possible de parvenir à un accord satisfaisant, même si chacun d’entre nous défend a priori des intérêts contradictoires. Tout n’a pas été évident et je me suis heurtée à un véritable mur à mon arrivée, car la mission que je m’étais fixée ne coïncidait pas vraiment avec les préoccupations et priorités politiques du Parlement et de ses membres. Aujourd’hui pourtant, l’Union européenne commence à admettre qu’il lui est impossible de fermer les yeux plus longtemps sur ce que vivent les Roms », conclut Járóka.
Un avenir meilleur ?
En 2005, après une année entière de négociations, le Parlement a adopté sa toute première résolution sur la situation des Roms dans l’UE. Plus qu’un simple rapport, le texte procède à une analyse minutieuse des conditions de vie des gens du voyage. Il souligne que « les 12 à 15 millions de Roms vivant en Europe -dont 7 à 9 millions au sein-même de l’Union- souffrent de ségrégation raciale et pour la plupart d’entre eux, de ‘ghettoïsation’, de pauvreté et d’exclusion sociale. Sans oublier bien sûr les discriminations liées au sexe, à l’âge, aux handicaps ou à l’orientation sexuelle ».
Les récents problèmes d’immigration auxquels l’Europe a du faire face -comme la crise des banlieues en France en novembre 2005- n’ont pas facilité la tâche des militants pour les droits des Roms, lesquels, en plus de faire partie d’une minorité défavorisée passent souvent pour des étrangers aux yeux de la société. Lívia Járóka me confie d’ailleurs qu’elle a parfois l’impression d’être seule contre la bureaucratie européenne. Son dossier a toutefois été largement soutenu par l’ensemble des partis représentés au Parlement. « Seul un travail d’équipe est susceptible de faire bouger les choses », juge t-elle.
Járóka est déterminée à atteindre son but, même s’il lui faut pour cela recourir à des méthodes peu orthodoxes. Ainsi, la jeune femme s’apprête à incarner le PPE dans le cadre d’une campagne de modernisation de son image. « Vous pourrez par exemple me voir sur des affiches publicitaires surmontées du slogan ‘Alliance de valeurs’. J’ai normalement pour habitude de garder mes distances avec tout ce qui relève du marketing et de la communication politique. Mais je réalise peu à peu que l’image joue un rôle primordial dans notre monde surmédiatisé. En évoluant dans le milieu de la politique, je me devais de saisir cette chance de rendre publique mon combat contre les discriminations », m’explique Lívia Járóka.
Femme moderne
L’eurodéputée passe le plus clair de son temps à Bruxelles ou en déplacement à travers toute l’Europe. Je lui demande comment, dans de telles conditions, elle peut garder contact avec les siens, et notamment sa petite fille de 3 ans. Elle me rétorque « qu’il n’existe pas en Europe à l’heure actuelle de plus grand décalage que le fossé entre les quartiers de Bruxelles réservés aux diplomates et les bidonvilles d’Europe de l’Est ». Et ajoute « qu’Internet et le téléphone me sont indispensables et je rentre chez elle malgré tout environ une fois par semaine ».
Si Lívia Járóka ne permettra certainement pas aux Européens de tourner le dos plus longtemps à la détresse des Roms, elle a choisi ses priorités. « Ma famille est ce qui compte le plus pour moi et je m’arrange pour être avec elle le plus souvent possible. Mais cela implique qu’elle me suive dans mes déplacements. Elle est le moteur nécessaire à l’accomplissement de mes projets. Elle est toute ma vie », insiste t-elle.