Yorgui Loeffler : « Les plus grands musiciens tsiganes sont dans les pays de de l’Est »
A 29 ans, Yorgui Loeffler est l’étoile montante du jazz manouche.
Originaire de Haguenau en Alsace, il était de passage à Prague dans le
cadre du festival de la culture rom, Khamoro. Un festival qui fête cette
année ses 10 ans d’existence. Quand Yorgui Loeffler joue, on a
l’impression que ses doigts volent sur les cordes de son instrument et
que jouer de la guitare, c’est simple comme bonjour... Une virtuosité
d’autant plus bluffante qu'il avoue ne pas savoir lire une partition. Il
est souvent comparé au grand Django Reinhardt, dont il se réclame,
d’ailleurs il collabore souvent avec deux autres musiciens manouches
d’Alsace au sein d’une formation appelée ‘Les enfants de Django’.
Alors, est-ce que cette comparaison n’est pas un poids un peu lourd à
porter ? Son frère Gigi Loeffler a d’abord tenu à répondre, avant de
laisser la parole à Yorgui.
Gigi : « Django Reinhardt, c’est un sujet très sensible. Se proclamer
le digne héritier de Django Reinhardt, non. Se proclamer de sa musique
oui. Mais un Django Reinhardt il n’y en a qu’un. On va dire que le
reste, ceux qui sont là maintenant, ce sont de très bons produits
dérivés (rires). »
Yorgui : « C’est vrai que ça fait plaisir d’être un des héritiers
de Django. Toute personne qui fait du jazz manouche, qu’il soit plus ou
moins bon, c’est un héritier de Django. »
Est-ce que c’est facile aujourd’hui de faire du jazz manouche ?
J’aurais tendance à dire que vous tombez à un bon moment, où les
musiques traditionnelles ou ‘ethniques’ sont plutôt en vogue...
« Il paraît que oui. Mais bon, c’est une musique qui marche depuis
Django. Il y a beaucoup de musiciens qui la jouent depuis longtemps, mais
c’est vrai qu’elle est beaucoup plus populaire, commercialisée,
surtout grâce à Internet aussi. »
Vous pensez que c’est important Internet pour les musiciens
aujourd’hui ?
« Oui et non. »
Vous venez d’Alsace. C’est un territoire qui est proche de la Bohême
en terme de culture. Proche des influences des Roms de l’Est, d’Europe
centrale. Y a-t-il des similitudes entre la musique des Roms d’Europe
centrale et la musique des Roms d’Alsace ?
« Oui, il y a beaucoup de similitudes. En sachant que Django, c’est
quand même un musicien qui a exploité les musiques américaines, le jazz
plus traditionnel, et les musiques des pays de l’Est. On est très
influencés par les musiques de l’Est, parce qu’à la base, les
manouches n’écoutaient pas de guitare. Enfin, je sais que mes grands
parents c’était que le violon. Les plus grands musiciens sont dans les
pays de l’Est. »
Cette tradition musicale initiée par Django, Yorgui et son frère Gigi
ont à cœur de la transmettre. Pour cela, ils ont monté un projet plutôt
sympathique. Gigi Loeffler :
« On a ouvert une école en Alsace pour instruire le jazz à Django. Elle
se trouve à Haguenau dans le Bas-Rhin. Il y a vraiment une reconnaissance
pour cette musique-là. Les gens nous soutiennent. On avait remarqué que
les gens ne savaient pas comment venir vers nous. Ils voient les camps, les
caravanes. Du coup, ils sont hésitants. On s’est donc dit qu’on allait
créer une structure où les gens pourraient venir. Et surtout les gadjos,
les non-manouches. Ils viennent. Ca se passe très bien, on est très fiers
de leur transmettre notre musique. La musique n’a pas de frontière. On
remarque ces derniers temps qu’il y en a qui commencent à se révéler.
C’est pas des manouches, c’est des gadjos. On est surpris par leur jeu
! »
Car la musique est bien plus qu’une simple tradition folkorique dans la
culture rom. La musique, c’est tout un art de vivre. Preuve de cette
étroite connexion : le guitariste Yorgui Loeffler a, lui, une idée bien
arrêtée sur ce que représente son instrument :
« C’est ma deuxième femme... »
Et comme Yorgui Loeffler est plus un homme musique qu’un homme de mots,
c’est sur ces bonnes paroles qu’il a pris sa guitare, laissant à son
frère Gigi le soin de préciser :
« Yorgui disait que la guitare c’est sa deuxième femme. Ça veut dire
qu’il a sa femme de cœur, et la guitare, c’est une extension du corps
et de l’esprit. Quand il se lève le matin, il va jouer de son intrument,
il va être un peu infidèle à sa femme. Mais c’est spirituel... »