Les Tsiganes et la Musique classique.



Vous ne le saviez pas, mais la musique classique doit beaucoup aux Tsiganes aux Roms .


Music4Rom, c'est le nom d'un projet que la Commission européenne a décidé; de soutenir. Son objectif, promouvoir et faire connaître les liens entre le peuple rom et la musique classique. On l'oublie souvent, mais cet énorme pan de la culture doit énormement à ces musiciens des chemins et des routes.
Explications de Jorge Chaminé, chanteur d'opéra.
Grands marcheurs devant l'éternel, de par des sentiers bien ardus, les Roms depuis des siècles, véhiculent dans leur musique le souffle primordial, la mémoire du "chant du monde". Créateurs, donc inventeurs "spontanés" de la musique, ils ont toujours su que tout vient de la vie, que tout va à la vie. Très éloignés des carcans de nos certitudes académiques, ils savent que c'est aux cœurs qu'il faut parler. Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps de proclamer haut et fort, en tant que musiciens classiques, notre reconnaissance à leur apport essentiel à l’histoire de la musique européenne.

De Ziyab à Paco de Lucia
L’idée directrice de ce projet Music4Rom part du principe que le monde ignore (ou a cessé de se souvenir) que la musique classique a été souvent inspirée par la musique rom.
Depuis de longues années comme chanteur, musicien et pédagogue,
j’ai étudié la migration du peuple rom et me suis aperçu de tout ce que ce magnifique et fier peuple a apporté comme contribution notoire et essentielle à ce qu’il est convenu d’appeler la musique classique européenne. Beaucoup nous l'espérons, grâce à ce projet, apprendront avec surprise et peut-être joie, quelle belle trace la musique rom a laissé et quel moteur d’inspiration elle fut pour nombre de nos plus grands compositeurs.

Aux 8e et 9e siècle dans la Cordoue califale, Ziryab aurait été d’origine gitane, probablement né en Perse et musicien hors pair à Bagdad et puis au service des Omeyades. C’est grâce à lui que l’Europe connaîtra sa première école de musique. Chanteur, instrumentiste, luthier, polymathe, il introduisit dans l’Espagne musulmane un art de vivre qui révolutionna toutes les cours européennes. Son degré de culture et de raffinement fut inégalé dans notre histoire occidentale et devint, selon moi, figure allant à l’encontre de toutes les idées préconçues.

un des musiciens gitans qui a le plus contribué à cette magie : Paco de Lucia.

             Paco de Lucia Festival de jaz Montreux 2012

 

Dans la péninsule ibérique, l’apport des gitans à la musique populaire espagnole est encore aujourd’hui connu de tous et triste coïncidence de calendrier, nous venons de perdre un des musiciens gitans qui a le plus contribué à cette magie : Paco de Lucia. Magie résultante d’une âme musicale unique et qui va contribuer et se mélanger aux musiques des pays traversés. Musique marchante !


C’est le cas de la Hongrie où, déjà au temps du Roi Matthias Corvin et de son épouse la reine Béatrice d’Aragon, les royaux époux luttaient entre eux pour avoir chacun à leur service les musiciens gitans les plus réputés. La cour hongroise suivra ses souverains.

Des boyards établiront des orchestres de gitans à leur service, allant jusqu’à faire libérer des gitans de leur situation de servage. Entre ces boyards régnait une véritable concurrence pour tenter d’attirer à eux les plus fameux des musiciens tsiganes. Ainsi Ferenc II Rákóczi et le comte Imre Csaky auront à leur service le célèbre Mihály Barna, violoniste et compositeur de la fameuse "Marche de Rákóczi", qui deviendra âme de l’insurrection hongroise contre le pouvoir des Habsbourg.
De son côté, l’Impératrice Marie-Thérèse, Reine de Hongrie et de Bohème s’enthousiasma tellement par l’art du musicien bohémien Simon Banyák, prodigieux joueur de cymbalum,qu’elle promulgua un décret autorisant les Tsiganes à jouer dans les noces et cérémonies officielles ,réservées jusqu’alors aux seuls musiciens allemands ou autrichiens.
Joseph Haydn, à la cour des Princes Esterházy incorpore à son orchestre des musiciens tsiganes. Mozart sera influencé par la musique rom et composera nombreux mouvements de ses œuvres comme des "zingaricum", "égyptiennes", des mouvements de quatuor "alla zingarese", "all’ungherese" voire même "alla turca", tous sous l’influence de la musique rom.

Dans cette Vienne de la fin du 18e siècle, de véritables castes de musiciens tsiganes ont vu le jour, d’où émergèrent des éléments très prodigieux. Le plus célèbre d’entre eux sera certainement János Bihari (1764-1827), gendre de Simon Banyák, qui sera l’invité obligé de tous les grands du monde de la fin des années 1700.

Beethoven aura une véritable passion pour ce musicien et l’entendra avec enthousiasme lors du couronnement comme Reine de Hongrie de l’Impératrice Marie-Louise (ce jour-là, un jeune musicien l’écouta également – Franz Liszt, qui deviendra le chantre de la musique tsigane au 19e siècle). Ce ne fut pas la seule fois que Beethoven écouta Bihari et son admiration était telle qu’il introduisit une de ses mélodies dans son "Ouverture du Roi Etienne". Tout au long de l’œuvre beethovenienne nous remarquerons l’empreinte tsigane dans nombre de ses compositions.

           Beethoven

Je ne voudrais pas lasser en citant tous les compositeurs (tâche que nous nous réservons comme objectif aussi de ce projet), mais voici quelques uns de ceux qui furent influencés par la musique rom, au-delà des trois noms cités auparavant, : Schubert, Weber, Schumann, Brahms, Tchaïkovski, Mendelssohn, Lalo, Berlioz, Sibelius, Saint-Saëns, Dvorak, Max Bruch, Enesco, Wieniawsky, Sarasate, Albéniz, Ravel, Kodaly, Falla, Turina et bien sûr Franz Liszt. 

avec le violoniste Barbo Laoutar. C’est cet extraordinaire musicien qui fut source d’inspiration pour ses "Rhapsodies hongroises" et que Liszt considérait comme l’égal de Paganini. Admiratif de la virtuosité époustouflante des musiciens tsiganes, de leur fascinante existence et surtout conscient de la reconnaissance qui leur était due, Franz Liszt leur consacrera un fort bel ouvrage : "Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie". Cet ouvrage fera polémique et influencera bien des écrivains, tels Baudelaire qui écrira dans "Mon Cœur mis à nu" : "Glorifier le vagabondage et ce qu’on peut appeler le 'Bohémianisme', culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique. En référer à Liszt". Ces "nobles nomades" qui portaient leur musique en bandoulière, et bien peu de bagages, emportaient au fil de leurs migrations tant de trésors dans leurs cœurs d’hommes. La musique ce fut toujours l’ADN de ces "wanderers"  [1] devant l’éternel.

Je me suis depuis fort longtemps passionné pour cet apport musical encore si méconnu dans la musique classique à laquelle j’ai dédié ma vie d’artiste. Les Roms n’ont pas su ou pas voulu, pour la plupart, "écrire" leur musique, la transmission fut majoritairement orale. Ils ont composé, joué, chanté sans se soucier de laisser des preuves de leur richesse musicale.

Dans leur nomadisme ils pratiquaient davantage la "langue du cœur" que la "langue écrite". De Ziryab à Bihari, de Dinicu à Boldi, de Django Reinhardt à Paco de Lucia ou Camarón, de Radics à Gulesco, des centaines d’autres de par le monde, ont laissé des traces indélébiles dans le cœur des hommes car leur musique fut toujours vérité.

De l’Espagne à la Bulgarie, de l’Italie au Royaume-Uni en passant par la Belgique, France et Roumanie un groupe de diverses organisations à vocation musicale a voulu se réunir et travailler ensemble pour accomplir ce projet. Bonheur de travailler pour faire connaître à travers diverses activités (ateliers, master classes, concerts, publications,…) l’héritage de la musique rom. En espérant intéresser un très large public loin des stéréotypes, des partis pris et des idées préconçues, nous avons pour ambition de permettre aussi fierté aux Roms d’aujourd’hui.

Ainsi les peuples roms, pour certains, découvriront la reconnaissance que nous leur devons et peut-être redécouvriront leur propre et noble langage, contributif à la musique classique européenne. Tous mes amis dans les organisations concernées, aussi passionnés que moi et sous l’égide de la Fondation internationale Yehudi Menuhin, nous mettrons tout en œuvre pour magnifier ce projet tant musical que fraternel. Il est heureux que dans un monde aussi troublé, nous puissions faire une place à l’essentiel pour l’homme, je veux parler de la beauté sans laquelle il se meurt à lui-même ! Les Roms y ont contribué comme peu de peuples.  

 

Ces peuples sans nations, mais avec la Terre pour sève, qui ont toujours voulu partager avec tous leur amour pour la musique et la danse, sont mémoire ancestrale de notre identité à tous.

 

Nous tenons à remercier grandement la Commission européenne qui, dans sa mission notamment de partage culturel européen et de défense des minorités, a bien voulu soutenir notre projet avec enthousiasme.

 

La musique rom ne cessera de nous inspirer à travers les âges, nous faisant rire ou pleurer et ces musiciens, passionnés "ouvreurs de portes", "porteurs de Lumière", nous entraîneront toujours sur les chemins de la fraternité musicale et de la fraternité tout court. Leur musique est fierté pour les Roms et mémoire musicale de l’Humanité.



Jorge Chaminé





[1]
wanderers= vagabonds, routards.