UN CAMP POUR LES TSIGANES. SALIERS. 1942-1944


PERNOT Mathieu

Documents

 


Isabelle Debilly

L'Exposition s'est tenue aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône en juillet 2001

Tous les documents ne sont pas présentés du fait du poids de certaines images. Vous pouvez retrouvez l'ensemble des documents dans le dossier pédagogique (Archives Départementales, 66 B rue Saint-Sébastien, 13006 Marseille)

SOMMAIRE

Liminaire

1. Arrêt du Parlement de Provence, 14 août 1614, (C 1730)

2. état nominatif des nomades dans les Bouches-du~Rhône en 1895 (4 M 887)

3. Loi du 16 juillet 1912

4. Fiches individuelles d'une famille tsigane arrêtée en 1923 (4 M 887)

5. Carnet anthropométrique (142 W 94)

6. Fiche d'identification d'une internée (142 W 98)

7. Décret du 6 avril 1940, (142 W 76)

8. Procès-vebal de la Conférence interministérielle du 25 mars 1942 (142 W 76)

9. Rapport sur l'établissement du camp par l'architecte des Monuments historique 8 octobre 1942 (142 W 76)

10. Projet du camp, coupe longitudinale, 2 juin 1942 (142 W 76)

11. Photographies de la construction du camp, octobre 1942 (142 W 76)

12. Note sur le décongestionnemnt du camp, le janvier 1943 (97 W 242)

13. Courrier du commandant ayant trait à l'école, 10 décembre 1942 (142 W 177)

14. Rapport d'inspection sanitaire, 9 septembre 1943 (142 W 83)

15. Article paru dans Le Journal, 13 avril 1944 (142 W 99)

16. Rapport du chef du camp sur le bombardement, 21 août 1944 (97 W 24)

17. Photographie du site du camp en 1998, par Mathieu Pernot

 


Puis :

Liminaire :

Dans le cas présent de la surveillance des nomades et finalement de l'internement d'une partie d'entre eux dans le camp de Saliers entre 1942 et 1944. il est intéressant d'être confronté directement aux sources utilisées par des historiens c'est l'extrême banalité de ces documents administratifs qui révèle la mise en place de ce système répressif. Il est particulièrement intéressant de faire prendre conscience aux élèves qu'une situation exceptionnelle peut être réalisée de manière très ordinaire et qu'un grand nombre de personnes est lié à la réalisation d'un système concentrationnaire dans son esprit. L'internement des Tsiganes n'a pas été voulu par deux ou trois esprits, il est né dans une société qui était dans son ensemble prête à l'accepter

Autre remarque sur les archives de la période de la Deuxième Guerre mondiale la qualité déplorable des documents eux-mêmes est due à la pénurie de papier. Cela permet de comprendre Le danger que courent ces archives, peu anciennes mais menacées de disparition rapide si elles ne sont pas particulièrement protégées. Dans certains documents, les noms de famille ont été masqués, pour protéger la vie privée des intéressés.

1. Arrêt du Parlement de Provence 14 août 1614 (C 1730).

Il s'agit ici de l'un des exemples de décisions prises par la monarchie française à l'égard des nomades " égyptiens ou Bohémiens " à partir du XVIIIe siècle. Ce document date de 1614, il impose l'exil aux Tsiganes et à défaut condamnation aux galères pour les hommes, au fouet pour les femmes. Transmise par le relais du Parlement de Provence, l'information parvient aux populations par la voie de l'affiche, d'une part, et par les proclamations " à voix de trompe " par les crieurs publics.

 

2. état nominatif des nomades dans les Bouches -du?Rhône en 1895 (4 M 881). Cette liste est issue de la décision de procéder, à la fin du XIXe siècle à un recensement des nomades, ce qui correspond à un nouveau durcissement de l'état à l'égard des populations non sédentaires. Il s'agit ici de l'une des feuilles qui concernent Le département des Bouches-du-Rhône. Le document permet de repérer les professions exercées vannier acrobate. marchand ou vendeur de chevaux, marchand de bimboleterie... Il n'est pas possible à la simple vue de ce texte, de faire la différence entre les nomades tsiganes et les autres. Les noms relevés, d'origine variée, ne peuvent être utilisés à cette fin. les Tsiganes ayant pris des noms de famille, lorsque cela leur a été imposé, dans des lieux les plus divers, ils peuvent porter des patronymes à consonance germanique, italienne, espagnole, française... La dernière colonne permet de mieux comprendre le mode de vie nomade de ces familles fichées.

 

3. Loi du 16 juillet 1912 sur ta création du carnet anthropométrique. Cet extrait du Journal officiel présentant une nouvelle réglementation de la circulation des professions ambulantes fait suite au durcissement de l'attitude de l'état français à l'égard de ceux que l'on appelle "nomade" en Les obligeant au port d'un document d'identité particulier le carnet anthropométrique. En effet, la loi vise les populations tsigane, mais la loi française interdit des discriminations de nature raciale il s'agit donc de réglementer l'exercice des professions nomades tout en laissant à l'administration la possibilité d'adapter son attitude en fonction des personnes concernées. Il convient de rappeler que la simple carte d'identité n'est en aucun cas obligatoire pour les populations sédentaires.

4. Fiches individuelles d'une famille tsigane arrêtée en 1923 (4 M 341). Ces deux fiches extraites d'un ensemble de dix, constituent la notice individuelle du chef de famille, Mattia, et celle d'un enfant du groupe, Vica. Cela permet de constater l'extrême précision du signalement, y compris pour les enfants très jeunes, dont on relève les empreintes digitales des deux mains.

5. Carnet anthropométrique (142 W 94). Le carnet anthropométrique (accompagné du carnet collectif pour le chef de famille) est encore plus précis, il porte, notamment, un cliché photographique de face et de profil. Ainsi, ce garçon de 13 ans est fiché comme le serait un détenu de droit commun condamné à une peine de prison.

6. Fiche d'identification d'une internée (142 W 98). Cette fiche d'internement au camp de Saliers porte la mention de "race nomade", expression intéressante Outre le caractère racial du système de fichage du régime de Vichy, le terme de nomade tel qu'il est employé ici renvoie à l'ambiguïté de la législation française depuis 1895 et 1912. Vichy s'inscrit bien dans une logique portée lors de la création des camps à un niveau jamais aussi important.

7. Décret du 6 avril 1940 (142 W 76). Cet extrait du Journal officiel est daté du printemps 1940 et porte la signature du président de la République. Annonçant l'interdiction de circulation des nomades et leur astreinte à résidence dans une localité désignée, ce document s'inscrit dans une double logique d'une part, celle d'une surveillance accrue du territoire en temps de guerre et, d'autre part, une contrainte plus grande à l'égard des nomades ce sont les Tsiganes qui sont le plus atteints par cette double logique.

8. Procès-verbal de la Conférence interministérielle du 25 mars 1942 (142 W 76). Ce compte-rendu d'une réunion à Vichy au printemps 1942 montre la décision prise de créer un camp de nomades en Camargue. Le document met en évidence le rôle du colonel de Pelet dans la localisation du camp lui-même. L'extrait choisi révèle la manière dont sont perçus les nomades dans la population le lieu doit " être assez isolé pour que ces nouveaux venus n'inquiètent pas les populations du voisinage " ainsi que les illusions des concepteurs du projet qui pensent couvrir les frais de fonctionnement du camp en faisant travailler les nomades " être situé à proximité des matières premières nécessaires aux travaux auxquels s'adonneront ces nomades ".

9. Rapport sur l'établissement du camp par l'architecte des Monuments historiques, 8 octobre 1942 (142 W 76). Sit dans un site naturel classé (la Camargue), le camp est soumis à des contraintes esthétiques supplémentaires qui justifient l'intervention de l'architecte des Monuments historiques. L'extrait retenu présente les deux premières pages du rapport, notamment "l'aspect moral" qui met en évidence la volonté de propagande dans la réalisation de ce camp. Le projet n'est pas réalisé dans son intégralité ainsi, l'école ne sera jamais, construite, pas plus que les fontaines, la maison commune...

10. Projet du camp, coupe longitudinaLe, 2 juin 1942 (142 W 76). Le plan proposé par l'architecte des Monuments historiques complète le projet présenté ci-dessus. C'est une vision idyllique d'un camp qui se veut la représentation d'un village créé de toutes pièces. La réalisation est quelque peu différente non terminé, incomplet, ce camp n'a jamais été un véritable village. Le transformateur, puisqu'il n'y avait pas d'électricité, pas plus que l'école ou l'église n'ont été construits. La végétation dessinée était inexistante et ne protégeait pas le camp du mistral.

11. Photographies de la construction du camp, octobre 1942 (142 W 76). Ces photographies présentent les premières étapes de la construction des cabanes, lesquelles ont l'apparence des cabanes de gardians, avec leur couverture de sagne. Cependant ces habitations restent inachevées et trop petites pour les populations hébergées (près d'une vingtaine de personnes par cabane). Sans eau ni électricité, la cabane n'est pas isolée, elle ne protège ni du chaud ni du froid ; le sol est en terre battue et la toiture est infestée de parasites.

 

12. Note concernant le décongestionnement du camp, 18 janvier 1943 (97 W 242). Ce bref rapport met en évidence le mauvais fonctionnement du camp qui contient des populations trop nombreuses, avec une présence importante d'enfants. Il est intéressant de remarquer que ces populations sont internées sans jugement préalable et que certains des internés étaient "domiciliés parfois depuis 25 ans et qu'ils exerçaient une profession régulière" ; on trouve même : des "expulsés d'Alsace et de Lorraine". Le surpeuplement s'accompagne de "difficultés d'approvisionnement ". Si ce rapport est critique et met en relief l'organisation défaillante, il ne remet pas en cause le principe de l'internement des nomades.

 

13. Courrier du commandant ayant trait à l'école, 10 décembre 1942 (142 W 177). La présence d'un grand nombre d'enfants nécessite l'instauration d'une école prévue d'ailleurs dès l'origine. Elle n'a pas été construite et de toute façon aucun instituteur ne se rend dans le camp, soit par opposition de l'Inspecteur primaire, comme l'indique le document ici, ou départ de l'instituteur finalement nommé pour le S.T.O. L'internement des enfants au mépris de toute législation n'est pas pris en compte.

14. Rapport d'inspection sanitaire, 9 septembre 1943 (142 W 83). L'extrait présenté ici représente la moitié du rapport du médecin régional, suite à son inspection. Il utilise l'expression " camp d'hébergés de race gitane ". Le paragraphe sur l'alimentation est particulièrement intéressant. Très critique, ce rapport montre les défauts criants d'organisation et de fonctionnement de ce camp, bien loin du projet de camp modèle que les défenseurs du projet voulaient au départ opposer à la " propagande " des Anglo-américains.

15. Article paru dans Le Journal, 13 avril 1944 (142 W 99). Cet article de journal permet de faire apparaître un point de vue extérieur à l'Administration, mais qui reste très superficiel. La comparaison avec un douar algérien rappelle l'existence (au moins dans les esprits) de l'Empire colonial français. Le journaliste esquisse un rapprochement entre les populations cdlonisées, auxquelles on ne reconnaît pas les droits des citoyens, et cette population internée de Tsiganes sur le sol métropolitain.

16. Rapport du chef de camp concernant le bombardement, 21 août 1944 (97 W 24). Le rapport du chef du camp sur le bombardement du camp du 17 août 1944 présente un récit détaillé de l'événement ce n'est qu'à la fin qu'il suggère une explication à ce bombardement. Il n'indique pas que les troupes allemandes ont manoeuvre, à l'occasion, à l'intérieur ou à proximité du camp lui-même. Enfin, à la date de rédaction du les faits, le camp a été déserté par ses habitants, le chef du camp

17. Photo du site du camp en 1998, par Mathieu Pernot. Il ne reste plus de trace du camp sur les lieux mêmes. Cette photo a été réalisée par le photographe Mathiau Pernot qui, de 1997 à 2000, à la suite d'un travail photographique auprès de familles tsiganes résidant à Arles, découvre l'existence du camp et entreprend de rechercher d'anciens internés dont il receuille le témoignage. Présenté aux Archives départementales, le fruit de ce travail fait aussi l'objet d'une publication réalisée avec le concours des historiennes Henriette Asséo et Marie-Christine Hubert.

Isabelle Debilly