Ecole mobile

La Loire est quadrillée par des camions-écoles appartenant à une petite structure indépendante, L'A.R.I.V. - Association Régionale pour l'Information et la promotion des Tziganes et Gens du Voyage.
Yvon Massardier a créé son office il y a plus de vingt ans et contribue ainsi à la lutte contre l'analphabétisme. Aujourd'hui, son association est soutenue par le Conseil Général - financement du nouveau camion-école, entre autres. Deux véhicules se partagent les haltes scolaires sur les terrains du département. Pourtant, rien ne prédestinait Yvon Massardier à cette entreprise. Les douceurs qu'il confectionnait dans sa confiserie-chocolaterie ne l'ont pas empêché de succomber aux friandises de la culture nomade. Après avoir goûté aux délices du flamenco gitan, du jazz manouche et tant d'autres sonorités endiablées, Yvon Massardier était conquis. C'est avec une pointe d'émotion que l'instructeur ambulant nous conte son expérience. "Les Manouches m'ont motivé à travers leur musique. Ils savent jouer tous les styles avec une telle facilité, c'est formidable. Comme je ne pouvais pas leur apprendre le violon... je me suis dit que je pourrais leur apprendre à lire et écrire !". Ainsi est né le projet de scolarité mobile. Deux instituteurs mandatés par l'académie assurent les cours à raison de deux à trois séances par semaine sur les terrains de la Loire. "Il faut voir comme les enfants sont excités quand ils voient arriver le camion. Il est vrai que les parents n'encouragent pas leurs enfants à apprendre à lire et écrire. Mais ils ont ceci de bien c'est qu'ils ne le leur interdisent pas non plus."

L'association ne se contente pas d'ouvrir les portes de l'instruction à plus d'une centaine d'élèves : elle est "un trait d'union entre ceux qui, du côté manouche, refusent d'un bloc la scolarité normale et, en face, ceux qui ressentent la nécessité de les éloigner de l'analphabétisme. Les Gens du Voyage avaient besoin de pénétrer notre culture pour pouvoir, à leur tour, nous transmettre des choses, au travers de l'écriture, de la lecture,... Certes, ils sont un peu turbulents, mais ils ont tellement à offrir !" Ainsi, grâce à ces leçons dispensées en milieu familier, les enfants réapprennent leur culture et se familiarisent avec celle de l'Autre. "Ils arrivent à lire des contes... Je leur apprends des chansons de leur culture qu'ils avaient oubliées. Les plus grands commencent à s'en sortir avec les papiers des parents. C'est également plus facile pour eux quand il faut passer le permis de conduire..." Le principe du camion école est plus ou moins contesté car le risque encouru est l'isolement culturel.

Yvon Massardier en est conscient "Moi aussi, j'aimerais mieux les voir à l'école du coin. D'ailleurs, aussitôt que l'opportunité se présente, on intervient auprès des parents pour faire scolariser tel ou tel enfant... Mais tout de même, je préfère ce système plutôt que pas de scolarité du tout". Yvon Massardier s'est initié, ainsi que son épouse, au romani.

Il a été sollicité par les autorités locales pour l'organisation d'un service de PMI (Protection Maternelle Infantile) car les Manouches sont réticents à fréquenter les milieux hospitaliers et les cabinets des médecins. "Pour les encourager à aller voir les docteurs, le département nous a demandé si on acceptait de faire le lien avec les familles". Ainsi, le camion santé se rend une fois par mois sur les terrains pour dispenser des soins et faire de la prévention. "Au début, les parents refusaient de présenter leurs enfants en l'absence d'un membre de l'association, parce qu'ils ont appris à nous faire confiance. Ils savent que nous ne voulons que les aider". À présent, le système est rôdé. Le camion effectue ses tournées, sous le patronage de l'A.R.I.V, sans susciter la moindre suspicion de la part des Gens du Voyage. Yvon Massardier insiste, tout sourire, sur la nécessité d'éduquer les nouvelles générations "Vous savez, je dis toujours que l'éducation des enfants commence vingt ans avant leur naissance". Il est vrai que les élèves d'aujourd'hui sont les parents de demain. En s'installant devant leur pupitre, en faisant leurs devoirs, ils deviendront plus sensibles aux dommages occasionnés par une scolarité en pointillé, voire inexistante. Alors même que ces enfants ne songent à aucune paternité, ils apprennent inconsciemment à soigner l'héritage culturel et social qu'ils vont transmettre à leur descendance. C'est aussi à l'école que l'on apprend l’autodiscipline et le civisme, les responsabilités et la constance dans l'ouvrage.

La scolarité est donc l'une des priorités absolues qui permettront de réviser les références émotionnelles et éducatives des générations futures. C'est une meilleure connaissance de l'autre et l'accession à l'émancipation intellectuelle qui permettront aux Gens du Voyage de dépasser les handicaps actuels.


Extrait du livre Le Champ Tzigane de LEILA OUFKIR